Sommet et Royaume – Partie I
Sommet et Royaume – Partie I
Il était une fois dans cet univers,
En voie de se parfaire,
Tous ces personnages que vous commencez à connaître,
Qui n’avaient pas réellement d’autre maître
Qu’eux-mêmes et autrui
Dans une construction d’harmonie.
Car oui, ils tendent tous à être et faire le monde
Du mieux de leurs forces et de leur caractère.
Ces entités sont loin d’être parfaites ;
De traits droits en travers,
Elles sont complètes,
Et grandissent au gré des autres et du temps.
Comme vous le savez, chacun naît destiné à un rôle,
Qu’il soit en le ciel ou sur le sol.
Chaque entité est créée et se créé pour une fonction.
Parfois celle-ci sera infini,
Parfois, elle a conscience de son temps de vie.
Mais toujours elle restera ce globe d’énergie,
Ce pôle qui s’immisce en soi-même ;
Qui se signe, se désigne, se dessine
Dans l’idée d’une même cime :
Se conquérir.
Car oui, elles sont énergies inépuisables
Qu’elles soient sans âges ou sans sages.
Sphère mouvante de création,
Grandissant et se modelant.
Le sujet d’aujourd’hui est un fils,
Né dans un hier lointain qui déjà file
Et qui demain sera ancré dans la terre.
Parmi ses sœurs et frères,
Il a de particulier et de frêle
Qu’on moque son histoire.
Que beaucoup rit car elle aurait déjà été vécue et écrite
Par sa fière mère, une des premières entité primaire.
Niut, nous l’avons rencontrée princesse,
Mais en ce jour, elle est reine et mère
Et règne lointaine sur terre et mer
Aux côtés de son envers : Jour.
Quelques mots ont déjà été tracés sur leurs enfants :
Crépucsule, Ebau, Oraure et Embro.
Ce dernier, au destin que tous s’amusent à lui conter,
M’a dessiné quelques filets de vie que je me dois de vous rapporter.
Il appartient aux premières jeunesses
Qui foulèrent le monde avec allégresse,
Qui hurlèrent amour et rire
Pour construire de liberté un empire.
Pourtant certains rires étaient d’une autre espèce
Qui naissaient souvent au sein des fratries.
Un rire moqueur,
Né de la complexe émotion qu’est la peur,
Qu’est le besoin de reconnaissance,
De s’élever et de puissance.
Embro en est le sujet depuis l’appel d’air et d’amour
Qui ébranla ses poumons à son naissance.
Dernier né de cette famille nombreuse,
Alors dernier à respirer l’air
Et à glisser sur la terre.
Alors dernier à se risquer hors de la cape de sa mère.
Sa place parmi les primaires
Lui confère un particulier caractère.
Des traits uniques qui ont renforcé les gloussements,
Et les jeux des autres enfants.
Car Embro, s’il avait pu crier à sa venue au ciel,
N’avait plus pu prononcer sa voix.
On commença par considérer que l’ampleur de ses cris de mise au monde
L’avait rendu aphone.
Mais sa vérité et timidité
Avaient clos son organe de parole
Pour le conduire doucement et avec fermeté jusqu’au mutisme.
Enfant fragilisé par l’absence de son compréhensible,
Pâli par le rejet de sa fratrie,
Abîmé par les yeux déçus et sévères de ses parents,
Voilà en peu de mots
Ce qu’est Embro,
En son enfance et adolescence.
Car c’est à ce moment là que nous le rejoignons.
Il est même assis au bord du ciel
Contre une montagne aussi pleine
Que lui de non-dit et de non-pris.
Bientôt, il le sait, l’âge lui dira
Par les voix de Jour et Niut,
Accompagnés de Lune et Soliel,
Que le temps des responsabilités est venu.
Mais dans ce monde comment être ?
Alors que sa voix n’avait pu naître.
Dernier à prendre sa fonction,
Il se savait assez pour savoir
Qu’il agirait avec onction
Pour remplir son devoir.
Mais une terreur d’échec
Le menait à craindre des déboires.
Ainsi son enveloppe était frémissante
Lorsqu’il se présenta devant les puissants.
Une cérémonie présidée par Lune et Soliel,
Dans un des recoins du ciel,
Était son avènement parmi les réels.
Il fallait quitter l’espace du jeu,
revêtir une nouvelle cape tissée d’enjeux
Et s’insérer dans le système des primaires.
Ainsi cela devait-il se passer.
Ainsi devait-il devenir comme sa famille.
Toutes les entités dites originelles
Se tenaient dans ce carré bleu aquarelle
Et lançaient leurs regards tout autour
Pour pouvoir absorber en mémoire
Chaque image de ce jour.
Embro, debout, tentait de rendre fière son allure.
Mais tout le comprimait, le craquelait.
Comme si sa poitrine se refusait à se gonfler d’air.
Ses parents encadraient Lune et Soliel,
Tous ses frères et sœurs
Ainsi que les quatre Dames
Étaient les principaux invités.
Dame Folre avait même quitté son abri.
Pour le besoin de sérieux de la cérémonie,
Tous avaient ôté le coin moqueur de leurs sourires.
« Temps nous modèle ;
Temps échange ;
Temps sait. »
« Envers, nuances, fondements
A protéger dans nos serments.
Nous, ici, dans un maintenant.
Nous, là, dans un présent. »
« Chers primaires, bienvenue.
Chères entités, pour les moins et les plus,
Nous siégeons comme jour de fête,
Nous sourions comme moment honnête. »
Embro connaissait de cœur et de tête
Le discours que les deux déclamaient.
S’il avait pu, il les aurait accompagnés en chuchotant,
Mais il ne savait pas la forme des mots,
Sa langue ne savait pas l’ondulation des sons.
Et alors qu’il prédisait avec précision
Les phrases et emphases des deux,
Il perdit le rythme.
Les paroles n’étaient plus celles de ses souvenirs.
Il crut d’abord que mémoire lui jouait un tour,
Mais il comprit tout.
« Embro, fils de Niut et de Jour,
Tu te tiens devant nous
Pour recevoir fonction et âge.
Embro, fils de Jour et de Niut,
Tu te présentes à nous
Pour devenir un des sages.
Lune et moi sommes restés éveillés un long temps
Pour préparer cette cérémonie de valeur importante. »
« Oui, la valeur de ce moment
L’appréhendes-tu ?
Comprends-tu ?
L’histoire a hérité le sérieux du temps.
Ainsi nous nous devons penser et agir
Avec conscience pour le mieux du devenir.
Et nous craignons l’époque où tu prendras place dans ce monde
Car les natures d’entité primaire ne sont pas en toi fécondes. »
« Il ne serait pas avisé
De te donner le royaume de l’ombre
Alors que tu ne peux gouverner.
En effet, tu restes coi et tombe.
Pourtant tout ce qui est réclame
Les expressions de ton âme. »
Embro était figé, pris dans la mélasse de la honte.
Incapable de se défendre,
Les informations étaient de la résine dans son sang.
Son père ne le regardait pas, ne le voyait plus.
Sa mère le fixait car il fallait qu’il sache
Sa rage de déception, son déshonneur glacial.
« Le royaume de l’ombre est nécessaire
A nous entités primaires.
Ainsi, Niut qui l’a fondé et gouverné
En son enfance et adolescence
Retrouvera cette fonction, chez elle, innée.
Toi, Embro, nous ne pouvons que te demander
D’apprendre et peut-être que dans un temps
Tu pourras retrouver ton royaume. »
« Notre décision est irrévocable
Et nous achevons ce temps de cérémonie.
Tu garderas tes attributs d’enfance et d’adolescence,
Jusqu’au moment dans lequel Soleil et moi
Jugerons que tu mérites d’être ce roi. »
Dans une musique de tissus se caressant,
Toutes les entités dans un silence de voix
Quittèrent cette assemblée dans un instant
De capes, de pas et de regard en convoi.
Jour n’avait plus ce fils.
Niut avait seulement pour la douleur et haine ce fils.
La résine dans le sang d’Embro
S’était durcie et il fût seul, tôt.
Le charbon de ses yeux, qui auparavant luttaient pour les quelques braises restantes,
Était désormais éteint et froid.
Un tel désarrois,
Une telle brûlure de Soliel et sa compagne
Lui avait ôté force et courage.
Mais sa plus grande douleur
Était ce besoin immédiat dont il était possédé.
Besoin viscérale de rejeter en arrière sa tête.
Besoin vitale d’expulser tout l’air de ses poumons
Contre le monde
Dans un long et salvateur hurlement.
Mais ses dents restaient closes.
Mais ses vocales en cordes
Ne vibraient pas.
Embro s’en fut.
Pourtant sans fuite.
Il ne pouvait demeurer dans ce coin-ciel des cérémonies.
Et il connaissait peu de chemins vers des abris.
Alors il marcha sur Terre sans but, sans bruits.
Admiratif du travail de ses aînés, sans vivre aucune jalousie ;
Seulement un émerveillement constant
Qui avait commencé lors de ses premiers pas sur le sol
Et qui continuerait, malgré tout, de le conduire.
Il contemplait les lumières de ses frères et sœurs,
Bien différentes selon les heures.
Caressant les velours verts de Folre,
Les éclats translucides d’Aeu,
Les chemins invisibles d’Iar
Et le sauvage en vie de Fuane.
Une seule chose dépérissait son âme ;
La soie noire qui grandissait à chaque instant
Partout autour de cet éternel enfant.
L’ombre construisait son royaume
Et ce n’était pas les doigts d’Embro
Qui le tissaient et l’épaississaient.
Mais Niut douée, précoce
Et bientôt le monde avait une myriade de morceaux de nuit
Accrochées à lui.
Cela, notre héros le pleurait.
Étrangère lui était la colère.
Mais tristesse était sa faiblesse.
Il crut même sentir l’acide coupure
Des filets d’ombres de Niut
Contre sa peau de craie.
Et bientôt même ses boucles de jais
Grillageaient son visage d’ombres.
Alors sur le promontoire le plus haut
Grimpa Embro,
Laissant derrière lui
Les griffes de la nuit.
Ce sommet, il le connaissait bien
Car rien ne le surpassait aussi loin
Que son regard portait.
Seuls quelques oiseaux s’y aventuraient
Pour lui porter quelques fruits,
Quelques mélodies.
Seule une espèce de fleur bravait l’altitude
Ainsi que quelques bruissements d’herbes
Accoudés à ces pétales
Et à un tronc noué défiant le vide et le ciel,
Paraissant éteint depuis trop longtemps
Pour que l’on se souvienne de la forme de ses feuilles.
Ici serait son refuge ;
Brûlé par Soliel si proche,
Glacé par Niut alliée à la hauteur folle.
Ainsi, il demeura sur cette roche aride,
Le corps au bord du vide.
La pensée au bord du monde.
Car son recul lui offrait une manière pleine
De contempler de tout son possible
Les rides de la terre,
Les soubresauts de la forêt,
Les douceurs des mers.
Assis, il buvait et buvait,
L’univers qui l’entourait.
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