Sondage d’esprits monstrueux
Pourquoi s’intéresser à ceux qui tuent, qui violent, qui dénigrent, en rentrant plus profondément dans les zones d’ombres de l’esprit humain ?
Bon nombre de séries télévisées s’attardent à disséquer les comportements des détraqués de nos sociétés, reflétant une sorte de fascination morbide trouvant toujours bon public.
True Detective ou Hannibal font partie de ces séries où les mises en scène sont particulièrement macabres. Or, le glauque ne réside pas seulement dans la forme. Dernièrement, une série d’un genre vu et revu mais d’une qualité rare, a gagné les très nombreux écrans des abonnés Netflix : Mindhunter.
L’histoire se distingue des autres par l’absence inouïe de tableaux violemment sinistres (hormis un ou deux), une absence comblée par de longs et pénibles entretiens entre les esprits les plus tordus des États-Unis des années 70 et deux agents du FBI, en gros. Les mots donc, ces reflets de nos âmes, sont au cœur de ces dix épisodes et sont censés nous éclairer sur des déchaînements de violence incompréhensibles. C’est ce même procédé qu’utilise Marc Dugain pour retracer l’histoire d’Edmund Kemper, un tueur d’une importance significative dans Mindhunter, et dont l’histoire mérite amplement d’être détaillée.
L’Avenue des Géants¸ Marc Dugain
Il ne s’agit pas d’exaltation de beauté de langue ou de poésie enivrée dans cet article, mais bien du descriptif d’un esprit torturé. Dans L’Avenue des Géants, Marc Dugain rebaptise Edmund Kemper en Al Kenner, et donne une parole à sa pensée.
L’histoire commence à ses 14 ans et décrit un adolescent inéluctablement différent des autres : un QI particulièrement élevé, une myopie forte, et une taille de presque 2 mètres pour 130 kilos. Al n’a jamais été aimé de sa mère. Elle-même déséquilibrée mentalement, elle lui reproche son existence, sa ressemblance avec un époux qui l’a quittée, clamant être la « la seule femme à avoir fait une fausse couche à son terme ». Après une jeunesse de maltraitance passée à la cave, quand d’autres vivent les prémices de l’amour adolescent, le jeune Al s’amuse à décapiter des animaux ou à les enterrer vivants. Un symbole perturbant : sa mère porte plus d’affection à ses chats qu’à lui.
Le meurtre de ses grands-parents lui vaudra un aller simple en hôpital psychiatrique. Durant son séjour, Al étonne par son intelligence et se retrouve relâché 5 ans plus tard. Forcé de vivre avec sa mère et n’ayant jamais eu de rapports sexuels, le jeune homme de 21 ans se retrouve encore plus en marge d’une jeunesse américaine des années 70 libérée sexuellement. Obsédé par les femmes, qui sont pour lui des êtres incompréhensibles, il décapite des autostoppeuses et assouvit son désir sexuel refoulé avec leurs cadavres. Sa mère subira le même sort, et il le comprendra une semaine avant de passer à l’acte. Al, comme Edmund, se rendra à la police, conscient de l’immuabilité du mal qui l’habite.
L’ambiance générale du livre est, de fait, lugubre, et laisse entrevoir une Amérique des grands espaces en contraste avec un milieu social sale et morne, déchiré par une guerre lointaine au Vietnam. L’environnement où évolue le jeune homme est si pollué et malsain qu’il n’en résulte qu’un être déséquilibré et abominable. L’influence de la mère est essentielle tant dans la fiction d’Al Kenner, que dans la réalité d’Edmund Kemper, mais l’intelligence et la clairvoyance du protagoniste est la preuve que cette histoire ne peut se résumer à celle d’un enfant mal-aimé.
Fatalement, du fait de la notoriété du tueur le lecteur sait la fin de l’histoire, pourtant il est facile d’espérer le contraire. Marc Dugain amène à avoir une sorte d’empathie pour ce misogyne malheureux qu’est Ed Kemper.
De l’empathie, vraiment ?
Ce n’est pas le premier mot qui vient à l’esprit lorsque l’on parle justement de tueurs apathiques. Je vous invite à visionner les différents entretiens que Mr. Kemper a pu mener et vous laisserais faire votre propre introspection sur vos impressions. La fiction est souvent là pour adoucir une réalité crue que nous avons sous les yeux, mais parfois le contraste est trop violent. Si les mots sont les reflets de nos âmes, il est alors difficile de déterminer celle du personnage principal de L’avenue des géants. Le trash n’est pas dans les images de bustes atrophiés ou d’effusions de sang, mais bien dans l’impassibilité des termes choisis par Kemper, parlant de ses victimes comme des produits à choisir sur un étalage.
Pourquoi s’intéresser à ces monstruosités, donc ?
En transposant ces histoires réelles en fiction, il nous est offert un moyen digeste d’accepter des réalités désagréables.
Enfin, il ne s’agit pas de mettre en scène des tueurs pour des raisons humanistes bidons, comme « celui-là est mal-aimé de sa maman », mais bien de contourner un déterminisme total sur les notions comme le bien et le mal. La complexité des personnalités comme Mr Kemper est comme un rappel sur les failles qui menacent nos esprits. C’est peut-être aussi pour regarder l’autre côté de la veste, et comprendre que même les monstres ne se font pas tout seul.
Crédits photos :
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